Formation initiale : pour Afsata Paré-Kaboré, la théorie ne doit pas prendre le pas sur la pratique
- Pourquoi est-il crucial de repenser la formation initiale en Afrique subsaharienne ?
Les pays d’Afrique subsaharienne font face au défi de la qualité de l’éducation, la qualité des apprentissages des élèves n’étant pas à la hauteur des attentes et des sacrifices consentis (PASEC, 2014). Des recherches sur les pratiques enseignantes ont montré le lien entre celles-ci et les apprentissages des élèves. La recherche OPERA (2015) a particulièrement montré l’impact négatif du déficit de prise en compte dans les pratiques enseignantes des aspects didactiques sur la qualité des apprentissages. Il en est de même de l’étude sur les pratiques enseignantes au Niger (2019). Ces constats étant en lien avec la formation des enseignants, il importe de revisiter celle-ci, notamment la formation initiale qui est notre propos ici.
2. Comment le programme APPRENDRE intervient-il pour l’amélioration de la formation initiale ?
Le programme APPRENDRE a mis en place des groupes thématiques d’expertise (GTE). Le groupe dont la coordination m’échoit est le GTE-6 (ndlr: sur 7 GTE au total), dont la thématique est la « rénovation de la formation initiale des enseignants ». Ce groupe thématique a pour objectif :
- de développer une meilleure articulation pratique-théorie, théorie–pratique en formation des enseignants,
- de professionnaliser les corps de formateurs d’enseignants,
- d’intégrer aux référentiels de formation les données récentes de recherche.
Il s’agit donc d’accompagner les pays dans leurs efforts d’amélioration de la formation des enseignants afin de promouvoir des pratiques enseignantes plus porteuses en termes d’apprentissage chez les apprenants.
3. Comment s’organise ce groupe d’experts ?
Nous avons d’abord constitué le groupe par l’identification de 4 experts pertinents du Nord et du Sud. Le groupe des 4 experts constitué, il s’agissait alors d’animer les travaux selon les sollicitations des pays ou du programme APPRENDRE lui-même. Ensuite, je suis le déroulement des travaux, à distance et/ou en présentiel selon les nécessités ou possibilités, et en valide les résultats avec le référant scientifique et les chargés de projets. Il convient néanmoins de préciser que les travaux du groupe en sont à leur début, mais cette dynamique s’accélère assez rapidement. Comme dit, le GTE peut anticiper en faisant des propositions d’activités, d’études, de rencontres scientifiques susceptibles de faire avancer les réflexions sur la thématique, notamment du renouvellement de la formation initiale.
Le premier livrable du groupe thématique d’expert sera une étude comparative des systèmes de formation initiale des enseignants dans 8 pays différents, ceci pour permettre une analyse des forces et faiblesses de différents systèmes, fondée tant sur les travaux scientifiques, que sur les évaluations internationales et les constats des acteurs.
4. Comment mettez-vous à profit votre expérience?
Dans mon université d’attache, je suis directrice et membre fondatrice d’un laboratoire de sciences de l’éducation, le Laboratoire de psychopédagogie, andragogie, mesure et évaluation et de politiques éducatives (LAPAME). Je suis aussi depuis un peu plus de 2 ans, la 3ème vice-présidente de l’Université, en charge de la professionnalisation et des relations avec les entreprises.
En tant qu’enseignante, j’ai des charges de cours dans différents domaines de la psychologie et des sciences de l’éducation : psychologie de l’apprentissage, psychologie cognitive, psychologie du développement, psychopédagogie, pédagogie générale, éducation comparée, analyse des pratiques enseignantes, etc.
Sur le plan de la recherche, je me préoccupe de diverses questions sur lesquelles j’ai des publications :
- L’Education/formation des femmes et des filles
- La Formation des formateurs
- Les Pratiques enseignantes
- Les processus d’apprentissage
- L’Education comparée
- L’apport de l’Éducation originelle africaine aujourd’hui
- Le bilinguisme langue nationale-français à l’école
Toutes ces expériences et questions soulevées constituent des axes de réflexion et d’observation sur la problématique de la qualité et de l’équité en matière d’éducation au Burkina Faso et en Afrique. Ce sont donc pour moi des acquis sur lesquels je me fonde pour animer le GTE6 et contribuer au programme APPRENDRE.
5. Quels points faibles avez-vous déjà identifié ?
Le problème de la formation initiale des enseignants dans les pays d’Afrique subsaharienne, en particulier, ne se limite pas à une formulation théorique des programmes qui mérite des améliorations, mais aussi à des difficultés de mise en œuvre de programmes parfois bien formulés. C’est ainsi que le problème de la formation pratique est souvent posé là où l’on a tendance à privilégier (en termes de temps alloué) la formation théorique alors que la transposition de celle-ci dans la pratique ne va pas de soi. L’enseignement est une action, une pratique à laquelle contribue la formation théorique certes, mais celle-ci ne peut lui être substituée. Une bonne alternance théorie-pratique-théorie lors de la formation doit être en œuvre pour assurer la construction efficace et la mise en place pertinente des gestes nécessaires à une meilleure pratique en classe.
6. Quels sont les objectifs de votre groupe d’expertise ?
En complément de ce qui a déjà été dit au début de cet entretien sur l’intervention de APPRENDRE pour l’amélioration de la formation initiale des enseignants, j’ajouterai que les différentes expertises du GTE sur la rénovation de la formation initiale pourraient avoir un impact sur l’amélioration de la qualité des apprentissages scolaires. Ce, en aidant à la formulation de programmes de formation pertinents, de modalités de mise en œuvre efficientes de ces programmes sans ignorer les bénéfices de la formation continue, de renforcement adéquat des capacités des acteurs impliqués dans la formation des enseignants.
7. Quid de la formation continue ?
Il demeure bien entendu la question de l’articulation formation initiale-formation continue, car il s‘agit de poursuivre l’encadrement des enseignants sur le terrain afin de maintenir un bon niveau de compétence en assurant les ajustements nécessaires. Cela montre l’interrelation entre les différents GTE, notamment le GTE-6 et les GTE-1 (Professionnaliser les acteurs de l’éducation) et 3 (Appuyer les collectifs enseignants et Communautés d’Apprentissages Professionnelles en établissement et en réseaux disciplinaires) en ce qui concerne la formation (initiale et continuée) des enseignants.
8. Quel bénéfice, au plan de votre développement professionnel individuel, tirez-vous de cette collaboration avec le programme APPRENDRE ?
Il est évident que si j’apporte dans le GTE-6, et de manière plus générale dans le Programme APPRENDRE, l’expertise d’une assez longue expérience professionnelle (formation, recherche, collaboration, membres et/ou responsables de comités, conseils et équipes divers) dans le domaine de l’éducation et de la formation des formateurs, il est aussi évident que c’est le cas pour chacun des experts du groupe et du Programme. C’est dire que l’on en apprend des uns et des autres à l’occasion des échange et interactions.
On en apprend aussi grâce aux résultats des travaux et études qui se mènent, qui pourraient révéler des informations et réalités nouvelles avec lesquelles il faudra composer et continuer à agir au mieux. Le Programme APPRENDRE est donc une occasion de renouvellement de connaissances et de renforcement de compétences, toutes choses propices à un développement professionnel individuel et collectif. En ce qui me concerne personnellement, cela pourrait être exploité dans les enseignements que j’assure, les thèses ou mémoires que j’encadre et toutes autres activités ou fonctions dans lesquelles il pourrait m’arriver de m’investir.